L’AFFAIRE DES EAUX CONTAMINEES DE NESTLE ANALYSEE SOUS L’ANGLE DE LA GESTION DES RISQUES : UN CAS D’ECOLE

Christophe BARDY - GRACES community
30/5/2025
Propulsé par Virginie
Cet article est réservé aux membres GRACES.community

L’affaire des eaux contaminées de Nestlé devient un cas d’école qui me permet d’illustrer quelques éléments importants dans mes cours sur le risque et la gestion des risques.

À partir des conclusions du rapport de l’enquête sénatoriale présentés dans un article des Echos que vous pourrez lire ci-dessous et de deux articles parus dans ce même quotidien, je vous propose de revenir et d’actualiser des éléments que j’ai déjà évoqués sur mon blog :

✨ Le risque éthique

🙈 La défaillance de l’Etat français comme amplificateur des risques

🚩 L’impact de ce risque pour Nestlé.

🏅 Les plans d’actions possibles pour Nestlé et pour l’Etat français.

Le risque éthique


L’éthique est la mise en pratique quotidienne des valeurs de l’entreprise et plus largement le respect des valeurs humaines et sociétales. Elle se décline en deux dimensions : d’une part le développement durable - le risque éthique est alors proche du risque environnemental -, d’autre part la gouvernance - il s’agit alors du respect des engagements de transparence, de prise en compte des parties prenantes et d’ouverture aux besoins de l’environnement global (concurrentiel, réglementaire, sociétal…) dans lequel opère l’organisation -. J’ai déjà utilisé cette appellation concernant Lubrizol, Nike ou encore Lafarge. Je l’ai également utilisé pour qualifier l’affaire des eaux contaminées dans une tribune publiée dans Le Monde le 14 octobre 2024.


La contribution au déficit de la nappe phréatique de la commune de Vittel (Vosges), qui se retrouve à importer de l’eau potable des centres voisins, relève du risque éthique dans sa première dimension : elle porte atteinte à l’environnement.


Le non-respect de la réglementation européenne interdisant la désinfection des eaux minérales, l’aveu de traitements tels que les ultraviolets et les filtres au charbon actif, la mise en doute de la qualité sanitaire des sources Vittel, Contrex, Hépar et Perrier (bactéries, matières fécales, pesticides…) par l’Agence nationale de sécurité sanitaire et l’Agence régionale de santé Occitanie relèvent de sa dimension gouvernance.

Le rapport de l’enquête sénatoriale paru le 19 mai 2025 est sans appel et confirme l’appellation de risque éthique dans sa deuxième dimension : la falsification et la dissimulation sont avérées. Il permet d’aller plus loin. Alors que je disais lors d’une interview en octobre 2024 que « l’accumulation d’affaires concernant Nestlé n’avait rien à voir avec une quelconque malchance mais qu’il y avait forcément quelque chose qui n’était pas en place, soit qui entravait la remontée d’informations, soit qui n’en tenait pas compte », le rapport conclue que la falsification et la dissimulation étaient connues de la gouvernance. Les Echos écrivent qu’il s’agissait d’une « stratégie délibérée ».

La défaillance de l’Etat français

La défaillance de l’Etat dans son rôle d’amplificateur de risques est également confirmée. Le rapport de l’enquête sénatoriale conclue à la complicité de l’Etat au plus haut niveau.

Quel est l’impact de ce risque pour Nestlé ?

Dans la tribune publiée dans le Monde le 14 octobre 2024, je concluais à un coût économique fort, à un coût en termes de réputation fort mais à un coût juridique modéré.


L’impact de l’affaire des eaux contaminées peut-il passer de fort/fort/modéré à très fort/très fort/modéré et ainsi accroître la criticité du risque éthique pour Nestlé ?


Le Préfet du Gard doit se prononcer d’ici le 7 août sur le renouvellement de l’autorisation de Perrier.

Pour D. Barroux (Les Echos, 13 mai 2025), cela condamnerait Nestlé Waters à mort.

Pour d’autres, cela n’aurait qu’un impact circonscrit sur le coût économique et le coût en termes de réputation.

B. Basini (Les Echos, 8 mai 2025) relaie les propos d’un ancien salarié du groupe : « « On a coutume de dire que la France c'est moins de 4 % du chiffre d'affaires mondial et 100 % d'emmerdements… Mais l'erreur, c'est de croire que ces affaires sont graves financièrement pour le groupe. » » Dans ce même article, elle écrit également : « Certes, la présence de nouvelles contaminations dans les bouteilles Perrier de l'usine de Vergèze (Gard), risque de provoquer le retrait du label « eau minérale naturelle » de la marque. Certes, la scène de l'audition des dirigeants restera difficile à effacer. Mais, pour un groupe qui met sur le marché plus de 1 milliard de produits par jour, le scandale des eaux françaises reste un dommage circonscrit… Rencontré mi-mars lors d'un de ses passages à Paris, Laurent Freixe en faisait lui-même le constat : « Dans beaucoup de pays du monde, nous sommes la référence absolue, la confiance est là. Dans les eaux en bouteille, notre capacité à produire ne suit pas la demande. » Elle poursuit en nous donnant une piste vers le plan d’action envisagé par le groupe : « Devenue moins porteuse, l'activité eaux, qui ne représente plus que 3,5 % du chiffre d'affaires global, a été filialisée le 1er janvier dernier. De quoi faciliter sa sortie du portefeuille des actifs stratégiques. Même si, devant la commission d'enquête sénatoriale, le dirigeant a juré qu'il voulait conserver le « patrimoine unique » que représente Perrier, sa marque la plus emblématique, ce sera en conduite accompagnée, avec un partenaire. Comme c'est déjà le cas pour les pizzas surgelées Buitoni depuis deux ans. »

Le deuxième amplificateur de risques - médias traditionnels, réseaux sociaux, médias alternatifs – joue son rôle : articles quotidiens dans les journaux économiques relayées sur les réseaux sociaux, ONG et associations de consommateurs mobilisées, humoristes devant un auditoire important (C. Vanhoeneker sur France Inter, W. Dia dans son dernier spectacle par exemple). Mais « la France ne représente que 4% du chiffre d’affaires. »

Au-delà du mea-culpa ou de la mise en conduite accompagnée de Perrier qui sont des actions de défense quels plans d’actions pour Nestlé ?

Pour desserrer l’étau, Nestlé pourrait commencer par mettre en place les 28 recommandations du rapport d’enquête sénatoriale.

Pour réduire la fréquence des affaires, la nouvelle gouvernance de Nestlé pourrait soutenir une démarche de gestion des risques de type ERM et s’impliquer à mettre en place une Fonction Risk Manager (FRM) légitime pour la piloter. Je développe cette démarche de gestion des risques et le rôle d’une FRM managériale, architecte de la démarche ERM dans tous mes travaux.

Quel plan d’action pour L’Etat ?

L’Etat français pourrait suivre la recommandation de D. Barroux : « Premier exportateur d'eaux minérales, la France qui condamne aujourd'hui Nestlé ne devrait-elle pas se battre à l'échelle européenne pour qu'un cadre précis tenant compte de l'impact du changement climatique sur les nappes phréatiques encadre de façon homogène l'activité des « minéraliers » ?

A lire :

L’article ci-dessous.

L’article de B.Basini « Nestlé : Laurent Freixe, who else ? », Les Echos, 8 mai 2025.

L’article d’A. Vallez « Nestlé, le géant par lequel le scandale arrive », Capital, décembre 2024.

A lire pour en savoir plus sur les risques, la gestion des risques et la Fonction Risk Manager :

L’ouvrage co-écrit avec N. Dufour « Risk Management. Organisation et positionnement de la Fonction Risk Manager. Méthodes et Gestion des risques. » Editions Gereso. 293 pages, 18,99 à 27 euros.

Mes travaux de recherche

Eaux minérales : l'enquête sénatoriale dénonce « une dissimulation » par l'Etat


Les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur les eaux en bouteille accablent l'Etat et Nestlé Waters. A la demande du géant suisse, les services de l'Etat auraient modifié un rapport soulignant des contaminations des sources Perrier.


Nouvelles révélations fracassantes dans l'affaire des eaux en bouteille. Plus d'un an après la révélation de traitements illicites en particulier chez Nestlé Waters (Perrier, Hépar, Contrex), la commission d'enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille a rendu ses conclusions ce lundi. Et elles montrent « les liaisons dangereuses Etat-Nestlé » , selon une expression du rapporteur, Alexandre Ouizille (PS, Oise).


L'enquête révèle comment un rapport de l'agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie a été édulcoré à la demande du numéro un mondial des eaux en bouteille. A la suite d'échanges entre le cabinet de la ministre déléguée à la Santé (à l'époque Agnès Firmin Le Bodo), le directeur général de l'ARS et le préfet du Gard, des modifications ont été réalisées « afin de dissimuler la contamination de forages contaminés par des bactéries, mais aussi des herbicides et des métabolites de pesticides, parfois interdits depuis des années », accuse le rapport.

« Une stratégie délibérée »


« Outre le manque de transparence de Nestlé Waters, il faut souligner celui de l'Etat, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français […] Cette dissimulation relève d'une stratégie délibérée, abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021. Près de quatre ans après, la transparence n'est toujours pas faite », dénonce ce rapport rendu public lundi après six mois de travaux et plus de 70 auditions.


Nestlé Waters, dont la direction assure avoir découvert fin 2020 sur ses sites Perrier, Hépar et Contrex l'usage de traitements interdits pour de l'eau minérale, avait sollicité à ce sujet mi-2021 le gouvernement, puis jusqu'à l'Elysée. Selon le minéralier, il s'agissait d'« assurer la sécurité sanitaire » des eaux lors d'épisodes de contaminations bactériologiques de forages.


Dix-huit mois plus tard, un plan de transformation de ses sites était approuvé par les pouvoirs publics, remplaçant les traitements interdits (UV, charbon actif) par une microfiltration fine par ailleurs controversée car à même de priver l'eau minérale de ses caractéristiques. Or le droit européen stipule qu'une eau minérale naturelle ne peut faire l'objet d'aucune désinfection ou traitement de nature à modifier ses caractéristiques. « Malgré la fraude aux consommateurs que représente la désinfection de l'eau, les autorités ne donnent pas de suites judiciaires à ces révélations » de 2021, souligne le rapport.

L'Etat au courant au moins depuis 2022


Les sénateurs déplorent ensuite une « inversion de la relation entre l'Etat et les industriels en matière d'édiction de la norme » : « Nestlé Waters adopte une attitude transactionnelle, posant explicitement l'autorisation de la microfiltration à 0,2 micron comme condition à l'arrêt de traitements pourtant illégaux. »


« En définitive, c'est au plus haut niveau de l'Etat que s'est jouée la décision d'autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron », au terme d'une « concertation interministérielle », « dans la continuité des arbitrages pris par le cabinet de la Première ministre, Elisabeth Borne, mais sans que celle-ci ne semble informée », note le rapport.


« De son côté, la présidence de la République, loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé, a suivi de près le dossier », ajoute la commission, qui se base sur « des documents recueillis par ses soins » : elle « savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années ». Alexis Kohler, à l'époque secrétaire général de l'Elysée, avait lui aussi reçu les dirigeants de Nestlé.

28 recommandations


Parmi les conséquences de cette gestion du dossier, le rapport note que l'industriel a pu continuer à commercialiser son eau sous l'appellation - lucrative - d'eau minérale naturelle. Aujourd'hui, Perrier attend la décision de renouvellement de son autorisation d'exploiter la source comme « eau minérale naturelle ».


Alors que des hydrogéologues mandatés par l'Etat ont rendu un avis défavorable, la préfecture du Gard doit se prononcer d'ici au 7 août et, en attendant, a donné deux mois au groupe pour retirer son système de microfiltration, estimant qu'il « modifie le microbisme de l'eau produite, en contradiction avec la réglementation ». Nestlé dit disposer de solutions alternatives, qu'il souhaite proposer aux autorités.


Le rapport note que malgré les révélations d'il y a un an, il n'y a pas, à ce jour, « de vérifications exhaustives de l'absence de traitements interdits sur tous les sites de production d'eau conditionnée ». Il préconise ainsi, parmi 28 recommandations, un suivi qualitatif des nappes, « un contrôle effectif du niveau de prélèvement réalisé par les minéraliers », un meilleur étiquetage pour les consommateurs.


Les Echos, avec AFP


Publié le 19 mai 2025

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