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Terrorisme : le Conseil d’orientation de la LCB-FT observe un recours croissant aux financements innovants

Par JUDITH BLANES


Malgré des 'revers' subis par les organisations terroristes dans la zone irako-syrienne, les modes de financement du terrorisme 'visent encore à l’entretien des combattants toujours sur zone', indique le Conseil d’orientation de la LCB-FT, dans son rapport sur l’analyse nationale des risques en la matière publié mardi 14 février 2023. Les plus gros risques pèsent sur certains organismes à but non lucratif, la monnaie électronique, les actifs numériques et la transmission de fonds. Tracfin se met par ailleurs en 'prévigilance' sur le secteur des agents sportifs, avec la tenue des JOP 2024.

Selon le Pnat, 'plus de 145 condamnations définitives ont été prononcées du chef de financement d’entreprise terroriste entre 2010 et 2020', rapporte le Colb (Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme) dans son analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, datée de janvier et publiée mardi 14 février par la direction générale du Trésor.


Ce conseil, créé en 2010 pour renforcer les échanges d’informations entre les acteurs des volets préventif et répressif qu’il fédère et proposer des améliorations devant alimenter l’ensemble des ministères, a, depuis l’adoption d’un plan d’action adopté en 2021 (lire sur AEF info), pris le relais de Tracfin pour rédiger de façon plus partenariale cette ANR (analyse nationale des risques) tournée vers les tendances en matière de BC-FT (1).


Celle-ci n’avait pas été publiée depuis 2019 (lire sur AEF info). Tracfin a de son côté publié mi-2022 son rapport d’activité 2021 (lire sur AEF info). Le conseil se fixe l’objectif d’actualiser l’ANR tous les deux à trois ans, et non tous les dix ans comme cela était pratiqué, de façon à anticiper l’action des pouvoirs publics et secteurs professionnels concernés.


LES RÉSEAUX DE COLLECTEURS MOINS ACTIFS


Dans son rapport, le Colb estime que les modes de financement du terrorisme 'ont peu évolué' malgré des victoires militaires remportées face à l’État islamique dans la zone irako-syrienne, mais restent préoccupants, compte tenu de la présence des revenants évaluée à 'plus de 350' en France. Lesquels constituent un potentiel vecteur de menace'.


'Les canaux usuels de microfinancement sont mobilisés pour lever et faire transiter les fonds à destination d’organisations et individus terroristes. S’agissant du risque de perpétration d’attentats sur le territoire français, la France est confrontée, comme ses partenaires européens, à une menace endogène autofinancée. Celle-ci se distingue de la menace exogène qui bénéficie de microfinancements hors du secteur bancaire traditionnel, cet élément étant caractéristique des attentats de novembre 2015', rappelle aussi le conseil d’orientation en s’appuyant notamment sur une analyse de deux députées en 2019 (lire sur AEF info).


Outre des sources licites (prestations sociales ou crédits à la consommation), ce microfinancement peut mobiliser le produit d’activités illicites (trafic de stupéfiants, vols à main armée, escroqueries, contrefaçons, 'noircissement' de prestations familiales et allocations-chômage). Le microfinancement, depuis la France, emprunte de fait 'trois vecteurs principaux', résume le Colb : 'les réseaux de collecteurs de fonds et de transferts d’espèces, l’utilisation de modes de financement innovants et, dans une moindre mesure, l’exploitation abusive d’organismes à but non lucratif'. Les réseaux de collecteurs, 'massivement sollicités pour transférer au Levant des sommes' le sont moins 'depuis les victoires de la coalition internationale'. Toutefois, ils sont 'susceptibles d’être mobilisés afin de financer des retours de combattants étrangers de la zone syro-irakienne', pointe le Colb. Par ailleurs, depuis 2018, 'certains nouveaux corridors sont utilisés (Kenya et Niger, par exemple)'.


'MONTÉE EN COMPÉTENCE' DES RÉSEAUX


C’est sur le secteur des 'financements innovants' que le Colb manifeste la plus forte inquiétude. 'Le secteur des fintechs et les activités liées à la monnaie électronique, aux services de paiement et de transfert de fonds et aux actifs numérique permettant sous certaines conditions de garantir l’anonymat de l’utilisateur sont ainsi particulièrement utilisés par les réseaux de financement du terrorisme', explique-t-il.


RISQUE 'TRÈS ÉLEVÉ' SUR MONNAIES ÉLECTRONIQUES ET ACTIFS NUMÉRIQUES


Spécifiquement sur les monnaies électroniques, 'plusieurs enquêtes conduites par le parquet national antiterroriste ont mis en évidence l’utilisation de cartes prépayées pour préparer des attentats ou dissimuler les préparatifs d’un projet de départ', souligne le conseil en rappelant que la réglementation française a abaissé les seuils de déclenchement des obligations d’identification et de vérification de l’identité des bénéficiaires de ce type de cartes.


En outre, malgré un certain nombre de textes permettant de limiter les possibilités d’anonymat, le rapport indique, dans sa partie sur l’analyse par secteur, que selon une étude de la Banque de France portant sur le premier semestre 2021, cinq EME (établissements de monnaie électronique) recevaient à eux seuls 'plus de 21 % du montant des virements frauduleux déclarés à la Banque de France sur la période par le prestataire de la victime de la fraude, alors que les EME représentent moins de 0,1 % du montant des virements en France'. 'Les contrôles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution montrent que des défaillances importantes quant au respect des obligations de vigilance LCB-FT sont en cause dans les principaux établissements concernés', ce qui conduit le Colb à évaluer le risque global à un niveau 'très élevé'.

Concernant les actifs numériques, ils bénéficient d’un 'accès plus aisé, dont les réseaux de financement du terrorisme peuvent profiter', relève le Colb. 'Si la menace reste encore aujourd’hui peu matérialisée, elle pourrait se révéler importante à moyen terme au vu des schémas identifiés et nécessite ainsi un suivi très rapproché', anticipe le conseil en qualifiant également le risque global de 'très élevé'. Il souligne cependant que la loi Pacte soumet les prestataires d’actifs numériques à une procédure d’enregistrement. Cela aura notamment comme effet de distinguer au sein de ce secteur d’activité 'des zones 'blanches', 'grises' ou 'noires', selon le degré de transparence et de conformité auquel se soumettent ces opérateurs', ce qui aiguillera utilement les services préventifs, répressifs et de renseignement. Le Colb compte aussi sur l’entrée en vigueur 'mi-2023' du règlement Mica (Markets in Crypto Assets), qui 'permettra d’harmoniser les critères d’agréments des PSAN [prestataire de services sur actifs numériques] entre les États-membres de l’Union européenne' (lire sur AEF info).


RISQUE 'ÉLEVÉ' POUR LES CAGNOTTES EN LIGNE


Le risque global en termes de BC-FT reste donc considéré comme 'élevé' pour la catégorie des IFP (intermédiaires de financement participatif, de type cagnottes en ligne) dont la simplicité d’utilisation et la croissance rapide sont constatées. Le Colb ne fournit pas d’exemple en matière de financement du terrorisme, mais ces plateformes sont déjà utilisées pour du blanchiment - un individu pouvant contribuer à des projets dont il est lui-même porteur. Outre la difficulté à contrôler la véracité des projets, le rapport souligne la connaissance limitée de réglementation chez les petites plateformes. 'L’attention doit être renforcée lorsque la clientèle comprend des associations, des congrégations ou des non-résidents', suggère notamment le Colb.


UNE MENACE 'TRÈS ÉLEVÉE' POUR CERTAINES ASSOCIATIONS


Par ailleurs, bien que 'rare' dans les faits, 'la menace d’exploitation abusive à des fins de financement du terrorisme d’OBNL [organismes à but non lucratif] peut se révéler très élevée pour trois catégories d’associations :


  • celles ayant un objet humanitaire ou social et dont les opérations ou flux financiers sont dirigés vers des zones à risque où opèrent des groupes terroristes (Proche-Orient, bande sahélo-saharien, Golfe de Guinée, Afghanistan, etc.) ;
  • celles opérant dans une zone de conflit ou en lien […] avec d’autres associations présentes dans une telle zone ;
  • des associations créées sous couvert d’activité légitime […] dont l’objet serait volontairement détourné par des personnes liées à des entités terroristes pour lever des fonds afin de financer ou faciliter des actes de terrorisme'.


Pour les deux premières catégories d’associations, cette exploitation abusive peut se traduire par le paiement de 'droits de passage' à des organisations terroristes nécessaires à l’accès sur les théâtres d’opérations ; par l’obligation de recourir à certains prestataires ou fournisseurs liés à des organisations terroristes pour accéder à ces zones ; ou encore par 'l’infiltration, au sein du personnel de l’OBNL, de sympathisants à la cause terroriste conduisant au détournement de fonds ou ressources au profit de partenaires locaux affiliés à des organisations terroristes'.


Tracfin a reçu plus 700 signalements en lien avec des soupçons de financement du terrorisme ou de radicalisation impliquant des structures associatives en 2021, comme l’établissait son rapport d’activité. Seulement huit procédures judiciaires ont été lancées depuis 2016 - le nombre de condamnations visant des OBNL pour des motifs de terrorisme n’étant pas précisé mais peu élevé. 'De la même façon, les situations de captation de fonds et ressources d’OBNL légitimes par des entités terroristes sont peu documentées par les autorités françaises mais les analyses internationales montrent que cela constitue une des sources de financement des entités terroristes', alerte le Colb.


Concernant la dernière catégorie d’associations, le Colb ne cite aucun cas mais constate que des groupements de fait (donc sans création de personne morale) peuvent adopter des stratégies équivalentes. Il pointe en revanche la menace que peuvent constituer les associations ayant un objet partiellement cultuel qui 'peuvent présenter un risque élevé de financement de la radicalisation à potentialité violente ou de diffusion de discours et de pratiques inspirées de l’islamisme radical à potentialité violente'. Un sujet que le législateur a tenté de prévenir en adoptant la loi 'séparatismes' (lire sur AEF info).


'Prévigilance' sur Les agents sportifs

 

La cotation de la menace pesant sur le secteur des agents sportifs apparaît globalement modérée concernant les blanchiments de capitaux, bien que Tracfin a constaté 'd’importantes menaces de blanchiment et de fraude fiscale liées à l’exercice illégal de la profession d’agent sportif par des personnes agissant comme intermédiaires dans le cadre de la conclusion de contrats de joueurs ou de transferts'. La menace de financement du terrorisme est, à ce stade, 'non étayée'. Toutefois le niveau de vulnérabilité est estimé comme 'très élevé', indique le rapport. Le Colb note en outre que 'depuis leur assujettissement au dispositif LCB-FT, les agents sportifs n’ont transmis aucune déclaration de soupçon', alors que 80 % d’entre eux en ont l’obligation auprès de Tracfin depuis 2010. 'Au regard des enjeux financiers croissants caractérisant le sport professionnel cette situation constitue une anomalie', alertent les auteurs du rapport. Tracfin a reconnu, lors d’un point presse, se mettre en 'prévigilance' sur ce secteur compte tenu de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques en France.


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