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Interview de Niels LINDHOLM, Responsable Conformité & Ethique, WORLD ATHLETICS

Interview Head of Compliance

  • Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous dire comment vous êtes arrivé en Compliance ?
    Je tiens tout d’abord à remercier les équipes de GRACES community et plus particulièrement Christophe Bardy pour son invitation. Le travail que vous réalisez, participe à la diffusion des connaissances entre confrères. C’est une activité essentielle à la réalisation de nos missions.

Je me présente : originaire des Alpes Maritimes, je suis un heureux père de famille diplômé de Sciences Po Paris en Affaires Internationales. J’ai complété ma formation avec une certification en prise de décision et gestion des risques délivrée par l’université de Stanford. J’ai débuté ma carrière dans l’intelligence économique au sein d’un cabinet anglo-saxon. J’ai travaillé pendant 6 ans dans différents bureaux d’Amérique latine, notamment à São Paulo où je me suis spécialisé dans les enquêtes de corruption. J’ai ensuite rejoint le siège à Londres, pour développer l’activité IE & Compliance pendant 4 ans. En 2018, la Fédération Mondiale d’Athlétisme, World Athletics, m’a recruté pour créer son programme de conformité éthique. La Fédération, qui est basée à Monaco, était à l’époque engagée dans une profonde réforme de sa gouvernance, en réponse à un grave scandale de corruption mis à jour en 2015. Je couvre désormais la conformité et la gestion des risques pour l’organisation au niveau mondial.

  • Tous nos lecteurs ne connaissent peut-être pas World Athletics, pouvez-vous expliquer son cœur de métier ?

World Athletics est l’instance internationale compétente pour l’Athlétisme dans le monde. L’Athlétisme, c’est tout d’abord un fait anthropologique, une activité humaine universelle regroupée au sein de trois actes, « courir, sauter, lancer ». La course à pied, le saut en hauteur ou le lancer de poids sont certaines des nombreuses disciplines de l’athlétisme. Nos missions sont très variées. Elles touchent des millions de personnes dans le monde entier. Comme dit l’adage, le sport, c’est la santé. L’objectif est de mettre notre sport au service d’un monde en meilleure santé. Dans ce but, nous intervenons dans trois domaines :

  1. L’aspect règlementaire et sportif : il est axé sur la gestion et le développement de l’athlétisme au sein de nos 214 Fédérations membres. Ceci va de l’organisation de compétitions internationales - par exemple les Championnats du Monde - à l’établissement des règles régissant les compétitions et la validation des résultats et des records. Nous couvrons l’aspect disciplinaire et antidopage avec l’assistance de l’Unité d’Intégrité de l’Athlétisme, une organisation indépendante et leader mondial dans son domaine. Nous faisons de la recherche scientifique pour améliorer la santé des athlètes. Enfin, bien sûr, nous prenons des initiatives pour que l’athlétisme se pratique dans un environnement sain et sûr. En confère notre programme de « safeguarding ».
  2. L’aspect stratégique et commercial : nous attribuons des évènements sportifs ; nous gérons la négociation de droits de sponsoring et de télédiffusion. Nous innovons pour mieux retransmettre les moments époustouflants que les athlètes nous font vivre lors des compétitions. Par exemple, un évènement phare de notre sport, la finale du 100m sprint aux Championnats du Monde, réunit plus de deux milliards de téléspectateurs ! Les enjeux sont donc très importants.
  3. Enfin, il y a l’aspect gouvernance : nous organisons les élections pour nos divers organes représentatifs. Nous distribuons des fonds. Nous gérons des projets de développement par la construction de pistes, le sport à l’école ou la surveillance de la qualité de l’air, parfois en partenariat avec des acteurs institutionnels tels que des agences des Nations Unies.
  • Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs le rôle de la compliance dans votre organisation ?

Au sens strict, la compliance, c’est le corpus de règles et de normes auquel les personnes assujetties doivent se conformer au quotidien. Mon rôle est de m’assurer que c’est bien le cas. A ce titre, nous mettons en œuvre les outils pour que cette exigence de conformité soit respectée, et aussi qu’elle soit, dans la mesure du possible, appréciée. Le but est d’apporter de la valeur à nos collaborateurs : en leur fournissant de l’information fiable et utile pour mener à bien leurs missions, ou dans le confort qu’ils trouvent à exercer leur activité dans un cadre éthique évident.

  • Comment appréhendez-vous la compliance chez World Athletics?

Même si notre programme a été lancé en 2018, il faut se rappeler que le sport traite des questions d’éthique depuis très longtemps ! On a trouvé un exemple d’une « politique cadeau et hospitalité » datant de 2 400 ans dans le serment prêté par les arbitres des Jeux Olympiques de la Grèce Antique. Pour la petite histoire, ce serment s’était imposé suite à un scandale de corruption impliquant des juges et des athlètes. 24 siècles après, ces défis sont toujours d’actualité…
Chez World Athletics, la fonction Compliance intervient en filigrane du processus de prise de décision. Son rôle est d’améliorer la qualité et la fiabilité des décisions que nous prenons au quotidien. Je cherche à me positionner en facilitateur prudent de la bonne conduite de nos affaires. La compliance, pour moi, c’est de ne dire ni « oui », ni « non », mais « si ». « Si on fait ci et ça, alors on aura X-Y% de chance en plus que ça marche. » Il y a donc une forte dimension d’anticipation et de conseil. Nous devons évaluer les tenants et les aboutissants éthiques, réglementaires, réputationels, géopolitiques, financiers, sécuritaires de nos différentes options. Ceci afin d’identifier celles qui sont en adéquation avec nos valeurs et répondent à nos objectifs de façon simple et pratique. J’insiste sur l’aspect pragmatique. Personnellement, n’étant pas juriste, je me concentre sur le pratico-pratique. Il faut que nos solutions marchent dans le monde entier et soient compréhensibles dans des contextes culturels et règlementaires extrêmement variés.

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur vos relations avec les régulateurs ?

Nous sommes dans une posture d’ouverture et de dialogue. A Monaco, nous sommes soumis à la loi régissant les associations. Notre politique de gestion des données personnelles est revue et enregistrée auprès de l’organe de contrôle du Gouvernement Princier. J’ai l’honneur de participer au travail d’explication mené par l’agence de renseignement financier sur l’application du dispositif LBC/FT aux agents sportifs. En France, nous avons engagé en 2018 un dialogue avec le pôle Conseil de l’AFA. L’agence nous a accompagné pour mieux comprendre les exigences de la loi Sapin 2. Je leur en suis très reconnaissant. Un des sujets était notamment celui de la cartographie des risques. Vous imaginez bien que pour couvrir 214 pays et nations, cet exercice demandait une approche méthodologique très rationnelle. Dans le secteur sportif, nous dialoguons avec le Comité International Olympique, qui est en quelque sorte une source de « soft law » par délégation, pour notre milieu. Avec d’autres fédérations internationales, nous participons à la mise en œuvre de bonnes pratiques dans le sport, au sein notamment du International Partnership Against Corruption in Sport. J’ai également concouru à la rédaction du rapport de l’Agence des Nations Unies contre le Crime et la Drogue sur la corruption dans le sport, afin de définir des bonnes pratiques à même d’être reprises dans une future réglementation du secteur.

  • Combien de personnes composent l’équipe Compliance et comment organisez-vous la charge de travail ?

Je travaille au sein de la Direction juridique – nous sommes une petite équipe qui se veut percutante et enthousiaste. Je m’appuie sur un réseau de prestataires répartis dans le monde entier - avocats, analystes, enquêteurs privés et contacts institutionnels - pour démultiplier nos moyens et trouver des solutions adaptées au contexte local.

  • Comment sensibilisez- vous au sein de votre organisation les collaborateurs aux enjeux de la compliance ?

Le travail de sensibilisation est en effet essentiel. Avec la compliance, on est dans l’humain. On fait du comportemental, on touche aux valeurs et à l’éducation de chacun. Il est nécessaire de se concentrer sur les efforts pédagogiques. Après avoir organisé des formations en présentiel, nous allons cette année lancer notre plateforme de e-learning : ces modules de compliance ont été intégralement développés en interne, pour être au plus près de notre réalité et de nos risques. Je consacre un temps conséquent à dialoguer avec les équipes et nos officiels. Je m’implique d’autre part dans des projets transversaux, afin que la compliance soit intégrée dans ce qu’on fait.

  • Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

C’est la satisfaction, quand je rentre chez moi, de participer à un monde meilleur pour mes enfants, et pourquoi pas pour tous les petits gamins qui courent, sautent et lancent un peu partout dans le monde. Je me dis qu’ils méritent qu’on leur propose un moyen honnête et sain de s’exprimer et de développer leur potentiel physique et mental.

  • La question inévitable du moment : quels sont les impacts du Covid sur votre activité ?

En tant que fédération sportive, nous sommes très exposés aux conséquences du Covid pour la tenue d’évènements accueillant du public. Nous avons beaucoup travaillé à la mise en place de protocoles pour que nos évènements les plus importants soient maintenus dans le strict respect des normes sanitaires.

  • Quels sont les prochains enjeux compliance pour vous ?

Il y a un mouvement de fond concernant les valeurs et la prise en compte des aspects ESG, Droits Humains, Diversité et Inclusion depuis déjà quelques années. On peut se poser la question du rôle des fonctions de Conformité sur ces sujets. Doivent-ils être intégrés ou réunis dans un grand portefeuille ? Ou s’agit-il de sujets qui doivent être traités séparément par des directions spécialisées ? Personnellement, je cherche encore la réponse !

  • Vous êtes à la fois responsable de la conformité et de l’éthique ; est-ce que cela change quelque chose dans votre approche de la compliance ?

L’aspect éthique donne une dimension humaine, voire un peu philosophique, à mon métier. Cela me permet de dégager des lignes de conduite pour « faire société » au sein de notre organisation, et d’accéder à un domaine d’intervention assez large, car il couvre la question de nos valeurs et du vivre ensemble.

  • Quelles sont les implications de World Athletics pour les Jeux Olympiques 2024 ? Comment appréhendez-vous ces événements ?

En fait, à cause du Covid, nous nous retrouvons dans une situation assez exceptionnelle. A partir de cette année, nous organiserons un grand évènement de portée mondiale chaque été pendant 4 ans. Notre prochaine grande échéance, ce sont les Championnats du Monde d’Athlétisme à Eugene, USA, en juillet 2022. C’est la première fois qu’un tel évènement se tient aux Etats-Unis. Cela promet d’être spectaculaire ! En 2023, nous revenons en Europe, à Budapest, un des berceaux de l’athlétisme européen pour les Championnats du Monde 2023. On retrouvera les 32 disciplines olympiques de l’athlétisme à Paris en 2024. Le Comité International Olympique étant le maître d’œuvre sur les J.O, nous fournissons pour notre part l’expertise technique. Nous travaillons par ailleurs sur les sujets « chauds » du moment, notamment la réglementation des innovations technologiques : des chaussures de course de plus en plus rapides, entre autres. Enfin, en 2025, nous aurons de nouveaux Championnats du Monde. Je fais partie du panel chargé d’évaluer les Candidatures en vue d’une sélection cet été.

  • Quels sont les prochains experts que l’on devrait interviewer selon vous ?

Je peux vous citer quelques auteurs dont je recommande la lecture :

  • Kristy Grant-Hart, et ses manuels de compliance, qui m’a montré le chemin lors de ma prise de poste.
  • Alison Taylor, de Ethical Systems, de la New York University Stern School of Business, dont j’aime beaucoup le travail sur les valeurs dans l’entreprise.
  • David Jackson du U4 Anti-Corruption Resource Centre, qui aborde de façon lumineuse le lien entre normes sociales et corruption.
  • Alexei Sidorenko (Risk Academy) dont j’apprécie l’approche sur la dimension « maîtrise des risques 2.0».
  • Norman Marks, que je considère comme une référence en matière de gouvernance et d’audit interne.
  • Pour finir, quelle est votre définition de la compliance ?

C’est une condition à la fois essentielle, mais nécessairement discrète, à la conduite des affaires. La compliance, c’est comme l’athlétisme ! Pratiquée avec discipline et régularité, elle est le gage d’une vie saine et dynamique.

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