Sanctions secondaires américaines : impacts et enjeux

Christophe BARDY - GRACES community
6/6/2025
Propulsé par Virginie
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Les sanctions secondaires américaines : comprendre leur portée et leurs impacts


Partie 1 : Définition et exemples fondamentaux


Qu’est-ce que les sanctions secondaires américaines ?

Les sanctions secondaires américaines constituent un mécanisme juridique et économique par lequel les États-Unis étendent leur pouvoir de sanction au-delà de leurs frontières. Contrairement aux sanctions primaires qui s’appliquent directement aux personnes et entités américaines, les sanctions secondaires visent des acteurs étrangers qui n’ont parfois aucun lien direct avec les États-Unis.


En termes simples, les sanctions secondaires américaines sont des mesures punitives qui ciblent des entreprises, des institutions financières et des individus non-américains qui entretiennent des relations commerciales avec des pays, des entités ou des personnes déjà sous sanctions américaines. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre plus large de l’extraterritorialité du droit américain, un concept juridique permettant aux États-Unis d’appliquer leurs lois au-delà de leur territoire national.


Le cabinet d’avocats Novlaw, spécialisé dans le droit des sanctions internationales, définit ces sanctions comme « un mécanisme de coercition économique qui place les acteurs économiques du monde entier devant un choix binaire : cesser toute relation avec les entités sanctionnées ou perdre l’accès au marché américain et à son système financier ». Pour plus d’informations sur les sanctions internationales et leurs implications, consultez la page dédiée aux sanctions et au contrôle des exportations.


Comment fonctionnent les sanctions secondaires ?

Le mécanisme des sanctions secondaires repose principalement sur la menace de désignation sur des listes restrictives. Le principal levier utilisé par les autorités américaines est la menace de placer des entités non-conformes sur des listes restrictives comme la liste SDN (Specially Designated Nationals) de l’OFAC (Office of Foreign Assets Control). Cette désignation entraîne un gel des avoirs aux États-Unis et l’interdiction pour les Américains de commercer avec les entités listées.


Cette menace de désignation a plusieurs conséquences directes qui renforcent son efficacité :

- Perte d’accès au marché américain : Les entreprises étrangères désignées perdent l’accès au marché américain, crucial pour de nombreuses multinationales.

- Exclusion du système financier en dollars : Toute transaction en dollars transitant par le système financier américain devient impossible pour les entités désignées, ce qui constitue un risque majeur pour les institutions financières internationales.

- Amendes dissuasives : Des pénalités financières considérables peuvent être imposées aux contrevenants, parfois de plusieurs milliards de dollars.


C’est donc la menace de désignation qui constitue le levier principal, les autres éléments étant des conséquences de cette désignation, créant ainsi un puissant effet dissuasif même pour des entités qui n’ont pas de présence directe aux États-Unis. Il existe aussi une menace de poursuite judiciaire comme c’est le cas pour Cuba.


Les exemples emblématiques : Cuba et Iran


Le cas de Cuba et la loi Helms-Burton

L’un des exemples historiques les plus significatifs de sanctions secondaires concerne Cuba. La loi Helms-Burton de 1996 (Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act) renforce l'embargo américain contre Cuba en permettant aux citoyens américains de poursuivre devant les tribunaux américains des entreprises étrangères qui « trafiquent » des biens confisqués par le gouvernement cubain après la révolution de 1959.


Cette loi a créé des tensions diplomatiques importantes, notamment avec l’Union européenne et le Canada, qui ont considéré ces mesures comme une violation du droit international et une ingérence dans leurs affaires commerciales. L’application de certaines dispositions de cette loi a été régulièrement suspendue par les présidents américains successifs pour éviter des crises diplomatiques majeures.


L’Iran et le retrait de l’accord nucléaire

Le cas iranien représente l’exemple contemporain le plus frappant de l’impact des sanctions secondaires. En mai 2018, lorsque le président Trump a annoncé le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), les sanctions américaines contre l’Iran ont été rétablies, y compris les sanctions secondaires, notamment par l’Executive Order 13846.


Ces sanctions ont placé les entreprises étrangères, notamment européennes, devant un dilemme : continuer leurs activités en Iran conformément à la position de l’Union européenne qui soutenait toujours l’accord, ou se retirer pour éviter les sanctions américaines. La plupart des grandes entreprises ont choisi la seconde option, illustrant la puissance extraterritoriale du droit américain.


Les secteurs particulièrement ciblés par ces sanctions incluent :

- Le secteur pétrolier et gazier iranien

- Le secteur bancaire et financier

- Les transports maritimes et l’assurance

- L’industrie automobile

- Les métaux précieux


Références et FAQ utiles

Pour plus d’informations sur l’application des sanctions secondaires aux entités non-américaines, consultez les FAQ officielles de l’OFAC :

- FAQ 980 : Risques pour les non-U.S. persons dans les activités avec des personnes sanctionnées

- FAQ 1026 : Exposition aux sanctions pour l’importation de produits russes

- FAQ 884 : Risques de sanctions secondaires pour les ONG et institutions financières étrangères


Partie 2 : Conséquences et enjeux des sanctions secondaires américaines


L’impact économique sur les entreprises internationales

Les sanctions secondaires américaines ont des conséquences économiques considérables sur les entreprises internationales, particulièrement celles ayant des intérêts dans les pays sanctionnés. Ces mesures créent un véritable dilemme pour les entreprises non-américaines : maintenir leurs activités dans les pays sanctionnés au risque de perdre l’accès au marché américain, ou se conformer aux sanctions américaines au détriment de leurs investissements et opportunités commerciales dans ces pays.


Le cas emblématique de Peugeot en Iran

L’exemple de Peugeot (Groupe PSA) illustre parfaitement ce dilemme. Lorsque le président Trump a annoncé en mai 2018 le rétablissement des sanctions contre l’Iran, Peugeot s’est retrouvé face à un choix difficile : abandonner le marché iranien qu’il venait de réintégrer, ou risquer de perdre l’accès au marché américain et au système financier international.


En Iran, Peugeot était en bonne voie pour vendre environ 440 000 voitures par an, mais ses ambitions plus larges dépendaient de partenaires technologiques américains, de transactions en dollars et de consommateurs américains potentiels. Ne pouvant concilier ces deux marchés, l’entreprise a dû mettre fin à ses opérations iraniennes en quelques semaines pour éviter les sanctions secondaires de Washington.


Les conséquences ont été immédiates :

- Perte d’un marché de 440 000 véhicules par an

- Abandon des investissements et infrastructures locales

- Rupture des partenariats avec les constructeurs iraniens

- Impact sur l'emploi local et la chaîne d’approvisionnement


Total et le champ gazier South Pars

Le géant énergétique français Total a connu un sort similaire. L’entreprise a dû sacrifier environ 2 milliards de dollars d’investissements prévus dans le champ gazier South Pars en Iran. Ce projet représentait une opportunité stratégique majeure pour Total dans l’un des plus grands gisements de gaz naturel au monde.


La décision de Total de se retirer d’Iran illustre comment les sanctions secondaires peuvent affecter des secteurs stratégiques entiers :

- Abandon d’investissements massifs déjà engagés

- Perte d’accès à des ressources énergétiques stratégiques

- Cession de parts de marché à des concurrents moins exposés aux sanctions américaines

- Réorientation forcée de la stratégie d’investissement global


D’autres entreprises européennes touchées

Le phénomène ne s’est pas limité aux entreprises françaises. Siemens aurait perdu environ 1,5 milliard de dollars dans le cadre d’un contrat ferroviaire suspendu, tandis qu’Airbus a fait face à une réduction de 19 milliards de dollars de commandes pour Iran Air. Même une entreprise plus petite comme Quercus, spécialisée dans les énergies renouvelables, a dû abandonner un projet d’énergie solaire d’environ 500 000 euros.


Ces exemples démontrent comment un changement dans la politique américaine peut rapidement forcer des entreprises étrangères à abandonner des projets majeurs, entraînant de lourdes pertes financières, afin de maintenir leurs liens avec les États-Unis.


Les enjeux stratégiques et géopolitiques

L’efficacité des sanctions secondaires repose en grande partie sur la position dominante du dollar américain dans le commerce international et sur le rôle central des États-Unis dans le système financier mondial. Cette réalité donne aux autorités américaines un levier considérable pour faire appliquer leurs sanctions, même à l’égard d’acteurs non-américains.


L’extraterritorialité des sanctions américaines soulève d’importantes questions de souveraineté économique et juridique. Lorsque des entreprises européennes sont contraintes de se conformer aux sanctions américaines plutôt qu’aux politiques de leurs propres gouvernements, cela remet en question la capacité des États à déterminer leur propre politique étrangère et commerciale.


Les défis de conformité pour les entreprises

Pour les entreprises internationales, la conformité aux sanctions secondaires américaines implique des procédures de due diligence complexes et coûteuses. Elles doivent surveiller constamment les changements dans les régimes de sanctions, vérifier l’identité de tous leurs partenaires commerciaux et financiers, et s’assurer qu’aucune de leurs transactions n’implique directement ou indirectement des entités sanctionnées.


Face aux risques considérables associés à une violation des sanctions américaines, de nombreuses entreprises et institutions financières adoptent une approche de « sur-conformité » (over-compliance). Elles évitent non seulement les transactions explicitement interdites, mais aussi celles qui pourraient présenter le moindre risque d’exposition aux sanctions.


Au-delà des pertes directes liées à l’abandon de marchés ou d’investissements, les sanctions secondaires entraînent de nombreux coûts cachés pour les entreprises, notamment les coûts de mise en conformité, les opportunités commerciales manquées par excès de prudence, et l’incertitude juridique.


Partie 3 : Réponses juridiques et institutionnelles à l’extraterritorialité


Le « Blocking Statute » européen : une riposte juridique

Face à l’extraterritorialité des sanctions américaines, l’Union européenne a développé un instrument juridique spécifique : le règlement de blocage, également connu sous le nom de « Blocking Statute » (Règlement (CE) n° 2271/96).


Le Blocking Statute protège les opérateurs européens par plusieurs mécanismes :

- Annulation des effets juridiques : Il annule l’effet dans l’UE de toute décision de justice étrangère fondée sur les lois étrangères listées dans son annexe.

- Droit à réparation : Il permet aux opérateurs européens de récupérer devant les tribunaux les dommages causés par l’application extraterritoriale des lois spécifiées.

- Interdiction de conformité : Il interdit aux opérateurs européens de se conformer à toute exigence ou interdiction fondée sur les lois étrangères spécifiées, sauf autorisation spéciale de la Commission européenne.

- Obligation d’information : Les opérateurs européens dont les intérêts économiques et financiers sont affectés par l’application extraterritoriale de ces lois sont tenus d’en informer la Commission européenne.


Malgré son ambition, le Blocking Statute présente plusieurs limites pratiques. Les entreprises européennes se retrouvent souvent prises entre deux feux : respecter le Blocking Statute et risquer des sanctions américaines, ou se conformer aux sanctions américaines et risquer des poursuites en Europe. En pratique, de nombreuses entreprises européennes ont préféré se conformer aux sanctions américaines malgré le Blocking Statute, comme l’illustrent les cas de Peugeot et Total en Iran.


L’illégalité au regard du droit de l’OMC

L’extraterritorialité des sanctions américaines soulève d’importantes questions au regard du droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Plusieurs principes fondamentaux de l’OMC sont potentiellement violés :

- Interdiction des restrictions quantitatives : L’article XI du GATT interdit généralement les restrictions quantitatives aux importations ou aux exportations, ce que les sanctions secondaires peuvent constituer de facto.

- Principe de non-discrimination : Les sanctions secondaires peuvent contrevenir au principe de traitement de la nation la plus favorisée (article I du GATT) et au traitement national (article III).

- Exception de sécurité nationale : Bien que l’article XXI du GATT offre une « exception de sécurité nationale », cette exception a été interprétée de manière restrictive, comme l’a précisé le contexte du conflit Russie-Ukraine.


En 1996, l’UE a initié une procédure de règlement des différends à l’OMC contre les États-Unis, arguant que la loi Helms-Burton était incompatible avec les obligations américaines au titre du GATT. Cependant, en avril 1997, les procédures du panel de l’OMC ont été suspendues à la demande de l’UE, suite à des négociations diplomatiques au cours desquelles les États-Unis avaient suspendu la promulgation du titre III de la loi Helms-Burton.


Position officielle de l’Union européenne

La Commission européenne a clairement exprimé sa position sur l’extraterritorialité des sanctions américaines : « L’Union européenne ne reconnaît pas l’application extraterritoriale des lois adoptées par des pays tiers et considère que de tels effets sont contraires au droit international. » Pour plus d’informations sur la position officielle de l’UE, consultez le site de la Commission européenne dédié au Blocking Statute.


Conclusion : l’importance d’un conseil juridique spécialisé

Un conseil juridique adapté vous permettra d’évaluer précisément votre exposition aux risques, de mettre en place des stratégies de conformité efficaces, et de naviguer dans ce paysage juridique complexe en minimisant les risques pour votre activité. N’hésitez pas à contacter notre équipe spécialisée pour un accompagnement personnalisé sur ces questions.


Quelques pistes pour l'intégration opérationnelle dans votre dispositif :

- Évaluer régulièrement l’exposition de votre entreprise aux sanctions secondaires américaines.

- Mettre en place des procédures de due diligence robustes pour identifier les risques potentiels.

- Former les équipes internes sur les implications des sanctions secondaires et les stratégies de conformité.

- Collaborer avec des experts juridiques pour naviguer dans les complexités des régulations internationales.

- Surveiller les évolutions réglementaires pour anticiper les changements et ajuster les stratégies en conséquence.

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