Le devoir de vigilance européen à l’épreuve de la réforme Omnibus

Christophe BARDY - GRACES community
7/6/2025
Propulsé par Virginie
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Introduction :


Le 25 janvier 2025, le gouvernement français informa, par l’intermédiaire du ministère de l’Economie, de sa volonté de suspendre et de reporter l’application de la directive portant sur le devoir de vigilance des multinationales. Cette position s’étendait également au devoir de rapport extra-financier des entreprises et de la directive Taxonomie, touchant à la finance durable.


Le 26 février 2025, la Commission européenne annonça une réforme dite « omnibus » visant à modifier en profondeur le cadre d’application des trois textes législatifs précitées.

Lors du sommet « Choose France » du 19 mai 2025, le président français Emmanuel Macron exprima sa volonté de supprimer intégralement le droit de vigilance des entreprises.


De quoi s’agit-il ? :


La nouvelle réforme envisage des changements majeurs en ce qui concerne les obligations des grandes entreprises, en matière de transparence et de durabilité.


Tout d’abord, la directive sur la soutenabilité des grandes entreprises (ou Corporate sustainability reporting directive - CSRD) avait pour objectif de diminuer l’impact de l’activité des entreprises sur la société et l’environnement. Les entreprises concernées étaient celles comptant plus de 250 salariés (et plus de 500 salariés pour les entreprises cotées), obtenant au moins 40 millions d’euros de chiffre d’affaires (20 millions d’euros au bilan). Les entreprises du secteur financier, d’abord exclues, ont été ajoutées à ce dispositif.


Ensuite, le règlement Taxonomie, adopté en 2020 et entré en vigueur en 2023, incarne l’objectif de neutralité carbone en 2050 de l’Union européenne (UE). Ce règlement classe les activités économiques qui ont un effet positif sur l’environnement. Les entreprises, cotées ou non, ainsi que les acteurs du monde financier, sont concernés. La Commission européenne a choisi d’ajouter, en 2022, les énergies du nucléaire et du gaz dans les activités validées.


Enfin, la directive de 2022 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de soutenabilité (ou Corporate sustainability due diligence directive - CS3D) concerne les activités et les conséquences des actions des grandes entreprises sur les droits humains, sociaux et sur l’environnement.

Une loi pionnière en la matière fut votée en 2017, en France, à la suite de l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, en 2013. Le Rana Plaza était un bâtiment regroupant plusieurs usines textiles, le Bangladesh étant l’un des plus grands exportateurs de vêtements au monde. Il s’effondra et entraîna la mort de plus de 1 100 ouvrières et ouvriers.


Ces trois textes législatifs font partie du Pacte vert européen (ou Green Deal). Lancé en 2019, ce Pacte a pour objectif de permettre à l’UE d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Il vise, notamment, la réduction des gaz à effet de serre et une stratégie industrielle intégrée, permettant une transition écologique et sociale des activités des entreprises européennes.


Nous traiterons particulièrement la directive CS3D au regard de la réforme Omnibus.


La réforme Omnibus :


Le 26 février 2025, la Commission européenne annonça une réforme dite « omnibus ». L’objectif recherché est une simplification majeure des normes européennes en matière de soutenabilité des entreprises. Les directives CSRD, CS3D et le règlement Taxonomie se retrouvent modifiés en profondeur.

Dans un contexte où les processus de reporting des entreprises sont davantage exigeants, la Commission européenne a pris le parti d’alléger ces procédures.


Une réforme « omnibus », d’un point de vue juridique, est une proposition de texte législatif, faite au Parlement européen et au Conseil, visant à harmoniser, simplifier ou adapter un ensemble de normes en vigueur.


Pour expliciter sa proposition, la Commission européenne met en avant un double contexte.


Tout d’abord, elle indique que la directive CS3D « est perçue » comme faisant reposer « un poids règlementaire significatif » (page 6, réforme Omnibus) sur les entreprises, surtout lorsque les chaines de valeur sont complexes et étendues. Certaines organisations patronales ont indiqué que ce poids se révélait être davantage pénible pour les petites et moyennes entreprises.


La Commission se base également sur le rapport intitulé « Le futur de la compétitivité européenne » (2024), élaboré par Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne. Ce rapport souligne « la nécessité de créer, pour l’Europe, un environnement règlementaire favorisant la compétitivité et la résilience ». Cela passe ainsi par la réduction des coûts liés à la conformité des entreprises à la CSRD, à la CS3D et à la Taxonomie européenne.


La réforme Omnibus prévoit un report de la transposition et de l’application de la directive CS3D. La transposition est différée d’un an et la date de la phase d’application débutera en 2028.

En ce qui concerne les obligations de diligence, la Commission propose que les entreprises ne soient plus tenues d’effectuer des vérifications détaillées auprès de leurs chaines de valeur, particulièrement au regard des conséquences négatives potentiellement engendrées.


Les entreprises ne sont plus obligées d’interrompre leurs relations d’affaires avec des partenaires commerciaux non coopératifs (au niveau des règles du devoir de vigilance), une simple suspension de la relation d’affaires est désormais suffisante.


Conséquences juridiques, sociales et environnementales :


La position de la Commission est spécialement soutenue par le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz. Il existe, au sein de certains gouvernements européens, une volonté inébranlable de relancer la compétitivité européenne et ce, par tous moyens.


Le contexte actuel, à savoir, une compétitivité subissant les retombées des coûts élevés de l’énergie (notamment en raison de l’invasion russe de l’Ukraine) et le désengagement américain en Europe (et de possibles hausses des droits de douane), joue un rôle majeur dans ce revirement de position.


La société civile et certaines organisations non gouvernementales (ONG) ont dénoncé, pour leur part, l’initiative de la Commission qui vise la simplification des obligations sociales et environnementales des grandes entreprises. Ce projet est considéré comme un potentiel désastre pour les personnes et communautés affectées par les activités des multinationales, pour la lutte contre la corruption et pour l’environnement.


Enfin, dans une lettre ouverte adressée à la Commission européenne en février 2025, 240 chercheurs et universitaires européens alertaient sur le danger de la réforme Omnibus. Les signataires contredisent, par exemple, la thèse de la compétitivité, avancé par la Commission européenne car les études réalisées lors de l’adoption des textes vont à l’encontre de cet argument.

En mai 2025, un collectif d’économistes européens signa une nouvelle tribune, s’opposant à cette dérégulation à venir.


L’allègement du droit de vigilance des entreprises est un facteur risquant de favoriser l’affaiblissement du Pacte vert européen et, à terme, des entreprises européennes elles-mêmes car les entreprises sous-traitantes et extérieures à l’UE devaient hausser leurs standards, si elles souhaitaient exporter leurs produits et vendre sur le Vieux-continent.

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