
Le dispositif de « garantie des services de gestion » en faveur des investisseurs, désormais opéré par le Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution (FGDR), constitue une pièce essentielle de l’architecture européenne de protection des investisseurs, au croisement des directives AIFM et OPCVM. L’Association Française de la Gestion financière (AFG) met à disposition de ses membres un guide didactique pour en présenter la portée, les mécanismes d’activation et les conséquences pratiques pour les sociétés de gestion et leurs délégataires. Cet article propose une synthèse approfondie et opérationnelle à destination des compliance officers expérimentés, pour faciliter la mise en conformité, sécuriser les parcours investisseurs et articuler les obligations de gouvernance, de contrôle interne et d’information.
Le nouveau mécanisme de garantie des services de gestion s’inscrit dans une trajectoire européenne visant à renforcer la résilience de la gestion d’actifs et la confiance des investisseurs de détail comme professionnels. Issu des cadres AIFM (gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs) et OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières), il complète les dispositifs existants (ségrégation d’actifs, responsabilité du dépositaire, exigences d’organisation, contrôle interne, cartographie des risques) par une couche de dernier ressort centrée sur la défaillance de la prestation de service de gestion, et non sur la performance des fonds.
La finalité est double : assurer un filet de sécurité aux porteurs de parts et actionnaires face à des indisponibilités liées à la défaillance de la société de gestion, et harmoniser, à l’échelle européenne, la lisibilité des régimes de protection. Pour les équipes conformité, l’enjeu est de cartographier précisément le périmètre du service garanti, l’événement déclencheur, les exclusions et les modalités de communication envers les investisseurs, notamment au regard des obligations précontractuelles et périodiques.
La garantie porte sur les « services de gestion » rendus aux investisseurs par une société de gestion agréée, lorsque, par suite de la défaillance de celle-ci, certaines prestations deviennent indisponibles au préjudice des investisseurs. Il s’agit bien d’une garantie adossée à la fourniture du service, et non à la valeur de marché des actifs sous-jacents. En d’autres termes, elle ne couvre pas la performance, la volatilité, ni les pertes de marché, mais vise l’indemnisation d’un préjudice né d’une impossibilité d’exécuter la prestation de gestion ou des opérations afférentes, du fait de la défaillance du prestataire.
Le périmètre doit être finement lu au regard des chaînes d’intervenants : société de gestion, dépositaire, valorisateur, teneur de registre, délégataires de gestion financière et administrative. La garantie se focalise sur la société de gestion et la défaillance qui lui est propre. Les exclusions typiques incluent : pertes de marché, risques d’investissement assumés par l’investisseur, cas où les actifs sont restés séparés et disponibles via le dépositaire, ou encore manquements non causaux à l’indisponibilité du service. L’établissement d’une matrice de causalité et d’indisponibilité documentée s’avère indispensable pour l’instruction des sinistres potentiels.
L’événement déclencheur correspond à la défaillance de la société de gestion rendant indisponible le service de gestion au bénéfice des investisseurs. Cette défaillance peut résulter, par exemple, d’une procédure collective, d’une mesure de résolution, d’une incapacité opérationnelle persistante empêchant l’exécution d’ordres, la valorisation, le règlement/livraison, la tenue de registre ou le respect des instructions de rachat/souscription. La temporalité est clé : il convient de caractériser le moment où l’indisponibilité est avérée et non simplement potentielle, ainsi que la durée minimale d’indisponibilité requise par le dispositif.
La preuve repose sur un dossier circonstancié : chronologie des faits, nature des services affectés, population d’investisseurs impactée, causes et chaîne des dépendances, diligences accomplies, mesures de remédiation, interventions des autorités et du dépositaire. Les procédures internes doivent prévoir des seuils d’alerte, un mécanisme de classification des incidents graves, et une gouvernance de crise permettant de saisir le FGDR de manière structurée et traçable.
Le FGDR intervient comme mécanisme de garantie pour les services de gestion, par analogie fonctionnelle avec ses autres missions (dépôts, titres). Dans ce cadre, il organise : la qualification de l’événement, la collecte des données nécessaires à l’évaluation de l’indemnisation, l’information des investisseurs, la détermination et le versement des indemnisations selon les règles applicables.
Les sociétés de gestion doivent anticiper les exigences de données : référentiels investisseurs, positions, instructions en attente, flux non dénoués, documentation contractuelle, incidents opérationnels, correspondances avec les prestataires et autorités. L’ingénierie des données (data lineage, qualité, complétude) devient un élément déterminant pour la célérité et la justesse de l’indemnisation.
La garantie des services de gestion ne se substitue pas au cadre de protection des actifs via le dépositaire et la ségrégation. Elle intervient en complément, lorsque l’indisponibilité résulte de la défaillance du service et non de la détention des actifs. Les processus de désignation d’une société de gestion de secours (« backup manager ») ou de transfert de mandats, de réouverture des instructions et de rétablissement de la chaîne post-marché doivent être planifiés contractuellement avec le dépositaire et les délégataires.
La documentation de délégation (gestion, administration, valorisation, registre) doit intégrer des clauses « resolution-friendly » permettant d’assurer la continuité critique, la portabilité des données et l’accès aux systèmes. Les contrôles permanents vérifieront la testabilité périodique de ces mécanismes (exercices de continuité et scénarios de défaillance).
Le cadre de gouvernance doit prévoir un plan de continuité d’activité (PCA) et un plan de reprise (PRA) couvrant spécifiquement la continuité des services de gestion, avec des responsabilités claires : direction générale, RCCI/Conformité, risk management, métiers, IT et prestataires critiques. Une cellule de crise multidisciplinaire, des playbooks scénarisés, des seuils déclencheurs et des communications pré-rédigées faciliteront une activation ordonnée et conforme des obligations envers les investisseurs et le FGDR.
Le contrôle interne assurera le suivi d’indicateurs de résilience (opérations non dénouées, taux de disponibilité applicative, échecs de valorisation, backlogs registre) et procédera à des stress-tests d’« indisponibilité de service » incluant l’hypothèse de défaillance de la SGP. L’audit interne challengera la robustesse documentaire, la complétude des données et l’efficacité des canaux de communication vers les investisseurs.
La conformité de l’information est centrale. Les documents précontractuels et périodiques (prospectus, DICI/PRIIPs KID, rapports annuels, lettres aux porteurs) doivent expliquer clairement : l’existence de la garantie des services de gestion, son périmètre, ses limites et exclusions, la procédure d’indemnisation, le rôle du FGDR et les modalités de contact. Le ton doit éviter toute ambiguïté avec la performance financière, pour prévenir tout risque de présentation trompeuse.
Des Q&A pédagogiques, des schémas d’activation et des exemples concrets (sans créer d’engagement au-delà du texte) renforcent la compréhension et réduisent le risque de litiges. Un dispositif de formation des forces commerciales et des distributeurs doit être prévu, notamment en architecture ouverte.
Les chaînes de délégation sont au cœur des indisponibilités de services. Les contrats doivent prévoir : obligations de continuité et de portabilité, accès aux données en temps réel, « step-in rights » pour permettre à la SGP ou à un tiers mandaté d’assurer la continuité en cas de défaut du délégataire, obligations de tests et d’audits, plans de remédiation et pénalités. Les accords de niveau de service (SLA) prendront en compte des critères de résilience spécifiques aux services de gestion, en cohérence avec les exigences du cadre européen (AIFM/OPCVM) et avec les normes DORA pour l’ICT risk management, lorsque pertinentes.
La qualité, la traçabilité et l’extractibilité des données sont déterminantes pour instruire une indemnisation FGDR. Les référentiels doivent permettre un « cut-off » fiable au moment de l’événement, la reconstitution des positions et instructions, la conservation probatoire et la restitution sécurisée. Les contrôles IT incluent la gestion des droits, la protection des données personnelles (RGPD/CNIL), l’archivage probant et la continuité des environnements.
Dans la logique de DORA, les prestataires TIC critiques doivent être évalués et suivis au regard de la continuité des services de gestion : tests de résilience opérationnelle, scénarios d’indisponibilité, gestion des incidents majeurs, rapports post-incident et plans d’action.
La procédure d’indemnisation requiert un socle documentaire précis : pièces d’identification des investisseurs, preuves des droits, états des positions et opérations non dénouées, correspondances, preuves d’indisponibilité et de défaillance. Les sociétés de gestion doivent préparer des kits d’instruction préformatés et des connecteurs sécurisés pour la transmission au FGDR. Les politiques internes préciseront les rôles des équipes (juridique, conformité, risque, opérations) et l’articulation avec le dépositaire.
Les délais d’instruction et de versement, ainsi que les plafonds d’indemnisation, doivent être communiqués conformément au guide AFG et aux textes applicables. La transparence sur les voies de recours et sur la coordination avec d’éventuelles procédures de résolution ou collectives s’impose.
Pour ancrer le dispositif, il est utile d’élaborer des cas d’école internes : (i) indisponibilité des rachats liée à une défaillance opérationnelle prolongée de la SGP, (ii) échec de valorisation bloquant le calcul de la VL et, partant, les souscriptions/rachats, (iii) faille de tenue de registre empêchant la preuve des droits des investisseurs, (iv) rupture d’un délégataire critique conduisant à l’arrêt de services essentiels. Chaque scénario doit être mappé à des contrôles clés, des métriques de détection et des réponses graduées.
La relation proactive avec les autorités (par exemple l’AMF pour les SGP) est un facteur de succès lors des crises. Les modalités d’information en temps réel, la traçabilité des décisions, la documentation des arbitrages et l’anticipation des attentes supervisuelles doivent figurer dans les playbooks. La cohérence entre la communication investisseurs, le FGDR et l’autorité de contrôle est essentielle pour réduire les asymétries d’information et sécuriser le dispositif.
L’indemnisation implique des flux sensibles : elle doit être filtrée conformément aux dispositifs LCB-FT et aux régimes de sanctions/embargos applicables. Les dispositifs de connaissance client (KYC) et de filtrage doivent être interopérables avec les process d’indemnisation. En parallèle, la déontologie du personnel s’assure de la maîtrise des conflits d’intérêts et de l’intégrité de l’information délivrée aux investisseurs en contexte de crise.
Dans l’esprit de la gouvernance produit, les documents de ciblage client (target market), les canaux de distribution et la documentation précontractuelle doivent intégrer la mention adéquate de la garantie des services de gestion, sans créer de dissonance avec les risques inhérents au produit. Les distributeurs doivent être formés aux limites du mécanisme pour éviter toute promesse implicite de performance ou de capital garanti.
La pédagogie est déterminante : messages simples, séquencés, juridiquement exacts, qui différencient « protection du service » et « risques de marché ». Les supports (FAQ, microsite, lignes dédiées) doivent être prêts, testés, et alignés avec le FGDR et les autorités. Une charte éditoriale de crise, validée ex ante, évite les approximations et protège la réputation de la SGP et, plus largement, de l’industrie de la gestion d’actifs.
La mise en œuvre du dispositif appelle un programme transverse : mise à jour des politiques, revue contractuelle, renforcement des données, exercices de continuité, formation, simulation d’indemnisation. Le pilotage par la conformité et les risques, avec un sponsor exécutif, assure l’alignement des métiers et des prestataires. Des jalons trimestriels permettent d’ancrer la progression et d’auditer la réalité opérationnelle de la garantie.

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