
Le Groupe d’Action Financière (GAFI/FATF) a publié ses « Asset Recovery Guidance – Best Practices » pour renforcer la capacité des États à tracer, geler, saisir, confisquer et restituer les produits du crime. Cet article, destiné aux compliance officers francophones expérimentés, propose une lecture pratique et opérationnelle de ces orientations afin d’en déduire des exigences concrètes pour les dispositifs LCB-FT, Sanctions et lutte contre la criminalité financière. Alors que, selon Europol, seuls 2% des avoirs criminels sont saisis dans l’Union européenne, l’enjeu est d’aligner politiques publiques et dispositifs privés pour faire de la récupération d’actifs un réflexe, et non une option.
Le GAFI appelle à une stratégie nationale prioritaire de récupération d’actifs, fondée sur cinq piliers : (1) priorisation stratégique et ressources dédiées, (2) renforcement des instruments de gel, saisie et confiscation (y compris non-conviction based confiscation et confiscation étendue), (3) coopération transfrontalière accélérée, (4) gestion et restitution efficaces des actifs saisis, (5) mesure de l’efficacité et transparence publique. Pour les institutions financières, PSP, sociétés de gestion et autres FTN, ces orientations se traduisent par des exigences de détection plus précoce, une capacité d’exécution rapide des gels, des parcours d’escalade clairs vers les autorités (TRACFIN/CRF), une documentation probante, une gouvernance robuste et une approche « output-oriented » en matière de KPIs et indicateurs de résultats.
Les flux illicites demeurent massifs, tandis que les taux de récupération restent faibles. Le GAFI rappelle que priver les criminels de leurs gains tarit la source du crime et renforce la confiance dans le système financier. Pour les acteurs soumis aux obligations LCB-FT, cette dynamique implique l’articulation fine entre détection, gel/signalement, coopération et traçabilité de bout en bout, afin de faciliter les investigations, prévenir la dissipation des biens et maximiser les chances de confiscation et de restitution.
Le GAFI recommande l’adoption d’une politique nationale claire assortie d’objectifs, d’indicateurs et de moyens. Pour les institutions : intégrer une ambition explicite sur la récupération d’actifs dans la cartographie des risques, les politiques LCB-FT, la stratégie Sanctions/Embargos, et les plans de contrôle. Les équipes investigations et sanctions financières doivent disposer d’instructions opérationnelles pour exécuter des gels rapides, coordonner avec la CRF et documenter les éléments probants.
Implications pratiques : aligner la gouvernance (Comité LCB-FT/Conformité) sur des objectifs de résultats ; définir des seuils d’appétence au risque compatibles avec des gels préventifs, mettre en place des runbooks d’escalade 24/7, et renforcer la capacité analytique (KYC/CDD approfondis, OSINT, revues de structures opaques).
Le GAFI promeut l’intervention précoce des mesures provisoires pour éviter la dissipation ; il encourage la confiscation sans condamnation pénale lorsque la poursuite n’est pas possible, et la confiscation étendue visant des biens d’origine suspecte non directement rattachés à l’infraction.
Implications pratiques : côté privé, l’exécution diligente des obligations de gel sur injonction/notification et le maintien des preuves (journaux de transactions, correspondances, alertes) sont déterminants. Les politiques internes doivent prévoir : procédures de gel immédiat, listes et signaux de risque pertinents, mécanismes de préservation de la preuve, contrôles poste-événement. Le dispositif doit également garantir la proportionnalité, la documentation des décisions et la traçabilité des oppositions ou exceptions prévues par la loi.
Le GAFI insiste sur la reconnaissance mutuelle des décisions de confiscation, la coopération informelle rapide et l’usage de réseaux (Interpol, CARIN, StAR). Pour les entités financières internationales : prévoir des points de contact transfrontaliers, des canaux sécurisés et des clauses contractuelles permettant de partager des informations légitimes avec les autorités compétentes. Les correspondants et les PSP partenaires doivent être évalués sur leur capacité à coopérer et à exécuter des mesures de gel dans des délais opérationnels.
Une fois gelés ou confisqués, les biens doivent être gérés pour éviter la dépréciation, avec transparence, et restitués équitablement aux victimes ou à l’État d’origine. En France, l’AGRASC assure la gestion. Les établissements doivent maintenir des registres précis, éviter toute manipulation pouvant obérer la valeur des actifs et documenter les interactions avec les autorités gestionnaires. La conformité doit vérifier les clauses contractuelles et les schémas opérationnels assurant une conservation et une remise conformes aux injonctions.
« Au-delà de la conformité technique », l’évaluation doit porter sur les résultats concrets : montants gelés, confisqués, restitués ; délais d’exécution ; taux de conversion alertes → gels ; qualité de la documentation fournie aux autorités. Les institutions peuvent décliner ces indicateurs dans leurs tableaux de bord LCB-FT, avec des revues périodiques en comité de conformité. La publication agrégée des résultats au niveau des États vise la crédibilité du dispositif et l’effet dissuasif.
Le GAFI relève des cadres complets mais peu appliqués, un manque de moyens/formation, des écarts régionaux et des déficits de données comparables. Les établissements peuvent : investir dans l’outillage (case management, graph analytics, entity resolution), renforcer la formation des équipes (typologies de contournement, signaux précoces de dissipation d’actifs), structurer des data rooms probatoires, et formaliser des SLA d’escalade interne et externe.
1) Détection proactive des risques de dissipation : surveiller les signaux d’alerte (changement de bénéficiaires effectifs, transferts vers juridictions à coopération faible, usage de courtiers en actifs alternatifs). 2) Exécution accélérée des gels : playbooks, habilitations, supervision en temps réel. 3) Coopération et chaîne de preuve : canaux sécurisés, conservation des logs, traçabilité des décisions. 4) Restitution et gestion : inventaires, contrôles d’intégrité des actifs. 5) KPIs orientés résultats : délais moyen de gel après notification, part d’alertes menant à une action, taux de conformité documentaire.
En France, l’AGRASC gère les biens saisis. Les établissements doivent être prêts à exécuter les décisions de saisie/gel, à coopérer avec TRACFIN et à fournir des dossiers probatoires complets. Les politiques doivent cadrer l’interaction avec les autorités, la conservation des éléments et la restitution. L’interview de la Directrice générale de l’AGRASC publiée par LCB-FT éclaire les attentes institutionnelles et la réalité opérationnelle de la gestion d’actifs saisis.
La récupération d’actifs doit figurer au plan de contrôle permanent (contrôles de niveau 1/2 sur l’exécution des gels, la documentation, les notifications et le respect des délais légaux). L’audit interne vérifiera l’efficacité, la qualité probatoire et l’alignement des KPI sur les objectifs. Le comité de conformité reçoit des reportings récurrents et statue sur les plans de remédiation.
Les cas complexes appellent des outils d’analyse de graphes, de surveillance des réseaux transactionnels, de screening temps réel et de scoring dynamique. L’interopérabilité des données KYC, transactions et alertes est clé pour reconstituer les flux et geler rapidement. Des connecteurs vers les réseaux internationaux et les exigences locales doivent être anticipés dans l’architecture.
La montée en compétences des équipes investigations, sanctions, correspondants locaux et front-line est essentielle : connaissances des cadres de confiscation (y compris non-conviction based), typologies de dissimulation, procédures d’urgence, conservation probatoire. Des exercices de simulation (« table-top ») permettent d’éprouver la chaîne de décision.
Le message du GAFI est clair : la récupération d’actifs constitue un outil concret de dissuasion, de justice et de crédibilité internationale. Pour les établissements, elle impose des mécanismes d’alerte précoces, des gels exécutés sans latence, une coopération fluide et une mesure rigoureuse des résultats. En articulant gouvernance, technologie et compétences, les dispositifs peuvent significativement améliorer l’impact réel de la LCB-FT sur l’économie du crime.

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